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L'écroulement

de la Françafrique

Le 24 septembre dernier, Emmanuel Macron a déclaré devant deux journalistes TV qu'après échange téléphonique avec le Président nigérien Bazoum, il rappelait à Paris notre ambassadeur "assiégé" dans sa chancellerie depuis le coup d'État du 26 juillet ; il précisait que les 1 500 soldats français de l'opération Barkhane au Niger allaient se retirer avant la fin de l'année. Il abandonne ainsi le président sans doute le plus "fréquentable" du Sahel à son triste sort.

Le même Macron avait pourtant affirmé, au lendemain de la prise du pouvoir le 27 juillet par le général Tchiani, son soutien à l'ultimatum de la Cedeao (Communauté Économique Des États d'Afrique de l'Ouest) annonçant un recours à la force des voisins du Niger contre les putschistes... qui n'a eu aucune suite. La droite (Roger Karoutchi, Bruno Retailleau) n'a pas de mots assez durs pour déplorer "l'échec de l'opération Barkhane" et "l'effacement de la France en Afrique".

Cette palinodie confirme l'accélération d'une lente agonie :  celle de la Françafrique, qui avait fait les beaux jours de la Ve République.

Si le terme avait été employé pour la première fois dès 1945 par le journaliste Jean Piot, il s'incarna sous de Gaulle et Pompidou dans les personnalités de deux "serviteurs de l'ombre" de l'un et l'autre présidents : le polytechnicien-homme d'affaires-espion Pierre Guillaumat, président d'Elf, et surtout Jacques Foccart (derrière le Général sur la photo), "secrétaire général aux affaires africaines et malgaches" de 1959 à 1974.

Foccart, homme de l'ombre, artisan du Franc CFA, chef de facto des diplomates et officiers français en Afrique, truqueur d'élections, faiseur de rois, empoisonneur de candidats, ordonnateur de fonds secrets, barbouze en chef... était dévoué au point de prendre seul des décisions "extralégales" pour ne pas "mouiller" le Président, espérant être "remercié" après coup (d'une manière ou d'une autre, en fonction du résultat) ! 

De Gaulle, porté au pouvoir par la crise algérienne, avait eu l'habileté de rester dans l'esprit de la "loi-cadre Defferre" de 1956 qui permettait, en pleine décolonisation, le maintien des frontières tracées par les puissances européennes en Afrique et celui d'une tutelle politique exercée sur l'"Union française". Il allait même un peu plus loin que la IVème République en accordant le statut d'États aux membres de la "Communauté" fondée en 1958. Défenseur affiché et paternaliste de "l'œuvre" de la colonisation, nationaliste rusé, il s'appuyait sur des élites africaines — certes indépendantistes mais imprégnées de culture française — pour maintenir un assujettissement de fait de ses anciennes colonies, accompagné d'avantages économiques substantiels pour la France. Des hommes d'État d'envergure (Houphouët-Boigny en Côte-d'Ivoire, Senghor au Sénégal) avaient accepté de "jouer le jeu". Seul Sékou Touré, en Guinée, avait courageusement rompu avec l'ancienne métropole.
 

"L'aide au développement" était une réalité, mais elle s'accompagnait de très lourdes contreparties, comme le contrôle des gisements d'uranium par le C.E.A. au Niger, cruciaux en cette période de course aux armements nucléaires et d'accroissement des dépenses énergétiques. Selon les États, les hydrocarbures (Congo, Gabon), le cacao (Côte d'Ivoire), le coton (Mali), le bois (Cameroun), l'arachide (Sénégal)... assuraient des débouchés aux jeunes États et de substantiels profits aux capitalistes français, dans une économie de prédation. Il ne faut certes pas surestimer la part de nos importations venues d'Afrique (passées de 10 % à moins de 5 % dans les 65 dernières années), mais le copieux excédent commercial de l'ancien colonisateur envers l'Afrique et les profits considérables réalisés sur place par les entreprises françaises témoignent du maintien de la sujétion pendant des décennies.

Sur le plan politique, les gouvernements français n'ont cessé depuis 60 ans de se poser en chantres de la démocratie en Afrique. Cela ne les a pas empêchés d'y mener de multiples  opérations barbouzardes (affaire Ben Barka au Maroc, exactions du mercenaire Bob Denard au Zaïre), d'y piller les ressources pétrolières (affaire Elf, avec André Tarallo, dans tous les pays du golfe de Guinée), d'y soutenir des présidents traficoteurs de constitutions (Idriss Déby au Tchad), de préserver en France les biens mal acquis de leaders africains (Paul Biya au Cameroun, Omar Bongo au Gabon) ou de reconnaître des élections notoirement volées par les autorités (Félix Tshisekedi au Congo, Faure Gnassingbé au Togo,  Ali Bongo au Gabon), et en retour de percevoir des fonds secrets pour des partis politiques (citons encore la dynastie Bongo). En 1981-82,  Jean-Pierre Cot, ministre de la Coopération, avait semblé vouloir réorienter la politique française en Afrique vers le "co-développement", mais fut contraint à la démission par François Mitterrand. Beaucoup de points restent à éclaircir, par ex. l'assassinat (au Burkina Faso) de Thomas Sankara par son rival Blaise Compaoré en 1987 (première cohabitation, quand Foccart reprenait du service auprès de Chirac) ; pour le journaliste Antoine Glaser, la France qui ne pouvait supporter ni une politique économique divergente, ni une alliance Sankara-Kadhafi, "était informée et a laissé faire".

Pourquoi ce double jeu ? La France bénéficie, dans ses anciennes colonies, de bases militaires permanentes, d'une monnaie supranationale (le franc CFA) qui lui profite, d'une influence culturelle avec la francophonie et la "coopération", et de toute sorte d'institutions qui vont bien au-delà de simples rapports économiques privilégiés. 

Les populations africaines ont peu à peu compris que la France, loin de les aider à se développer, a mené ses anciennes colonies à l'impasse. Au Mali, au Burkina Faso, au Tchad, en Guinée et au Gabon, les Français ont déjà été poussés vers la sortie par des juntes hostiles.

Depuis 60 ans, la discrète cellule africaine de l'Élysée a poursuivi dans l'ombre du 2 rue de l'Élysée (ancien quartier général de Foccart) ses travaux, cornaquée par René Journiac sous Giscard, Guy Penne puis "Papamadi" (Jean-Christophe M.) sous Mitterrand, Michel Dupuch (émule de Pasqua) sous Chirac, Robert Bourgi sous Sarkozy, Hélène Le Gal sous Hollande, et, sous Macron, Franck Paris, son camarade de promotion à l'E.N.A. (écoutant ses consignes sur la photo) qui vient d'être "remercié" après ses piètres exploits dans la lutte contre le djihadisme (priorité absolue de Macron). Cette cellule a cependant perdu une grande partie de ses effectifs et de son pouvoir... d'influence ? de nuisance ? Mais les réseaux d'hommes de l'ombre liés aux milieux financiers sont toujours là, défendant les intérêts du capitalisme français face aux Russes et aux Chinois, sans forcément travailler directement pour l'exécutif.

Aujourd'hui, la France est "sur le reculoir"... Elle a tenté depuis une vingtaine d'années de mener dans le Sahel  une politique de lutte contre l'islamisme terroriste, appuyée sur ses forces militaires. C'est, bien sûr, une question de politique intérieure après les attentats qui ont ensanglanté notre pays, mais pas seulement : les différents gouvernements français, depuis la calamiteuse intervention de Sarkozy en Libye (2011) — liée à la question des fonds de la campagne présidentielle de 2007 —, ont cru pouvoir jouer encore en Afrique le rôle de gendarme... rôle que, visiblement, les Africains ne veulent plus lui déléguer. Leur constat est implacable : Paris a soutenu pendant des décennies des brigands-autocrates comme les Bongo, et s'avère incapable de défendre un dirigeant estimable comme Bazoum. Comment s'étonner qu'ils se méfient des arrière-pensées de l'oppresseur séculaire, soutiennent des putschistes anti-français et cherchent des soutiens ailleurs sur la planète ?

Le dernier — et spectaculaire — "retour de flamme" d'un peuple africain envers notre pays a eu lieu le 2 février 2013 au Mali ("journée la plus importante de ma vie politique" a dit François Hollande), au moment du lancement de l'opération Serval. Depuis, la France se voit contrainte par des populations locales de plus en plus hostiles de retirer peu à peu ses billes du continent. L'avenir de la Françafrique n'apparaît pas très brillant !

 

Quatre vidéos pour illustrer les péripéties de la Françafrique :

 

          Paris 1959  (11:31)                    Ouagadougou 1986  (2:12)                Bamako 2013  (2:09)                       Niamey 2023  (3:00)

 

 

Quatre livres pour approfondir :

 

Thomas BORREL, Amzat BOUKARI-YABARA, Benoît COLLOMBAT, Thomas DELTOMBE, L'Empire qui ne veut pas mourir, Seuil 2021

Pascal AIRAULT, Jean-Pierre BAT, Françafrique, opérations secrètes et affaires d'État, Tallandier 2019

 

Antoine GLASER, Africafrance : quand les dirigeants africains deviennent les maîtres du jeu, Fayard 2014

 

François-Xavier VERSCHAVE, Françafrique, le plus long scandale de la République, Stock 2003

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