Interview : Roland Machet, sculpteur et citoyen
Professeur retraité, amoureux de la nature, engagé dans des actions éducatives mais aussi dans des combats contre l'injustice et pour la paix, Roland nous a accueillis et nous a présenté quelques-unes de ses œuvres.
Il nous a expliqué, en toute simplicité, ce qui l'a conduit à la sculpture, sa façon de travailler le bois et la pierre, ses motivations... et nous a livré quelques confidences et souvenirs.
Merci de nous recevoir, Roland. Tu es enseignant retraité. Quelle était ta discipline, et où exerçais-tu ce métier ?
J’étais enseignant-chercheur et j’enseignais la physique, particulièrement la physique des solides. J’étais à Dijon, et je suis parti six ans en coopération en Algérie, à l’Université d’Oran.
Y étais-tu en tant que V.S.N.A. (Volontaire du Service National Actif) ?
Non, en tant que civil. J’étais assistant à Dijon, et j’ai obtenu un statut de détaché à Oran.
Et tu as été influencé, dans ton travail ou en tant qu’artiste, par cette expérience ?
Non, pas spécialement, mais dans ma vie ! J’ai établi des contacts avec des Algériens, j’ai appris un peu l’arabe, et ça me simplifie la vie... À ORE, par exemple, il y a beaucoup de gens d’origine nord-africaine, et ça facilite les contacts.
Quand as-tu commencé à sculpter ?
C’était en 1981. J’aimais bien l’aquarelle, et j’ai fait un stage pour commencer à l’apprendre. Ce que je faisais était laid, j’étais maladroit, je n’y arrivais pas. L’animateur avait apporté de la terre à modeler... Et tout d’un coup, modeler a été ma passion. C’était dans un petit hameau en Bretagne, il y avait des pigeons ; j’ai fait des pigeons, puis un coq... et voilà ! Peu à peu, même après manger, je retournais à mon ouvrage ; c’était devenu très important dans ma vie. Mon père, lui, était sculpteur de profession... Regarder ses sculptures m'a éduqué l'œil. J'ai appris à voir en trois dimensions pour sculpter à mon tour.
Et retrouves-tu dans ton style une influence de ton père sculpteur ?
Non, sauf peut-être au début, quand je me suis mis à modeler de la terre glaise ; mais mon père faisait des bustes et des visages, en essayant de rendre la personnalité des gens.
Quelle place occupe la sculpture dans ta vie aujourd’hui ?
Ça me donne beaucoup de joie ! Et puis, la sculpture sur bois, c’est bien... parce que le bois, on peut le retravailler à tout moment. Si je suis sur l’ordinateur pendant une heure, j’en ai marre, je peux redescendre dans mon atelier et sculpter pendant un quart d’heure, une heure, deux heures ; l'objet est à ta portée... La terre glaise, il faut la mouiller, il faut se mettre en tenue adéquate ; ça casse, ça ne se garde pas, ça penche... tandis que le bois, il est là, il t’attend !
Cet atelier, on le voit ; il est dans une petite véranda. C’est important, la lumière ?
C’est important, oui... mais en même temps, je n’ai pas d’autre endroit ! Je travaille aussi dehors, en été, sur une table.
Pour ta matière première, tu pars en forêt, dans la nature, chercher des racines, des souches, des ceps ?
J’aime beaucoup la randonnée, et je m’émerveille de la nature, quelle que soit la saison. On fait partie d’un groupe de marche, d’amis ; on marche tous les jeudis, tout autour de Dijon, dans un rayon de 60 km. Tout d’un coup, je vois sur le sentier un débris de bois qui peut-être tout noir, mais qui a une belle forme et qui me plaît. Je ne sais pas encore ce que je vais en faire, mais je le ramasse — sauf s’il est très lourd —, et je le ramène.
Quand tu es dans un groupe, est-ce que tes petits camarades en ramassent aussi pour toi ?
Parfois, ils me disent : « Tiens, tu as vu ça ? tu ne pourrais pas en faire quelque chose ? ». Et des membres de Reflets m’en ont offert ! Il y a même des gens qui coupent des végétaux dans leur jardin et qui me demandent si ça peut m’intéresser. La réponse peut être oui... ou non.
Et tu ramasses uniquement en forêt ? Pourquoi pas, par exemple, du bois flotté, au bord de la mer, dans les rivières ?
Quelle place occupe la sculpture dans ta vie aujourd’hui ? Quelle importance a pour toi l’association Reflets, bien connue à Quetigny, dont tu as participé à la fondation ?
Il y a en même temps le fait de créer et le fait d’exposer. J’étais tout au début de Reflets — dont je fais toujours partie —. Avec d’autres, on est amené à préparer des expositions : on prend du temps pour bien patiner les œuvres, les cirer, mettre en place la salle... Il est important de ne pas garder les sculptures pour soi ; il faut les montrer, voir les réactions du public. C’est sympa, aussi, d’organiser quelque chose avec des gens souvent très différents...
Est-ce que ces expos (à Nelson Mandela,par exemple) ont un "fil directeur", ou y expose-t-on simplement les créations récentes ?
Au début, on avait essayé de définir un thème (au moins pour une partie de l’expo), mais ça n’a pas duré longtemps. Maintenant, nous proposons simplement nos dernières œuvres.
Les premières expos s’intitulaient « Mon voisin expose » : une idée de quelqu’un qui travaillait à la mairie. Il n’y avait au départ que des Quetignois ; on n’était alors qu’une quinzaine. On avait aussi exposé des poèmes de Madame Khelifa (voir notre notre n° 24 d’avril 2023)... Mon fils, aujourd’hui décédé, et ses camarades, qui faisaient de l’escalade, avaient aussi exposé des photos de leurs activités, ce qui concernait d’autres publics... À l’époque, on regardait des émissions à la télé sur tel peintre, et on en discutait ensemble... Mais cela ne se fait plus.
Aujourd’hui, on est une trentaine. On est plus exigeant sur la qualité des œuvres ; le C.A. souhaite que les participants aient un curriculum. On fait venir des invités en plus des membres de Reflets. Le nouveau président fait appel à des gens plus jeunes, et ça fait plaisir. On fait deux expos par an, une en mai-juin et une en novembre-décembre.
Reflets est toujours formée de gens de Quetigny ?
Non, il y a maintenant des membres venant de Dijon ou d'un rayon de 20 km alentour.
Et en dehors de l'association Reflets ?
J’ai aussi fait des expositions à l’église de la Visitation pour le CCFD - Terre Solidaire ; là, j’avais mis simplement les sculptures que j’avais à la maison.
Une fois, j’ai fait une exposition pour l’Arche, à Dijon ; ce sont des personnes handicapées mentales qui vivent en foyer, avec des gens qui ont des contrats de deux ou trois ans, des jeunes en général, volontaires pour vivre avec eux. Certaines de mes œuvres, avec celles de deux aquarellistes, étaient proposées à la vente pour participer à la construction d’un nouveau bâtiment destiné à regrouper des foyers dispersés ; aujourd’hui, c’est à Chenôve. Cela m’avait ému de voir une communauté de gens aussi différents...
Au bord de la mer, c’est rare ; en vacances sur la Costa Brava, je n’ai pas ramassé de beaux bouts de bois. En revanche, j’ai trouvé des cailloux... de beaux cailloux roses que j’aime bien. Et autour de Dijon, je ramasse aussi des pierres calcaires, dont je fais des socles pour mes sculptures. L’idée d’un bois naturel sur un support naturel me plaît. Je suis content, aussi, de montrer que dans la nature, il y a des formes magnifiques... quand on sait regarder. C’est, en outre, une façon d’être un peu écolo ! de dire : « ouvrez les yeux quand vous vous promenez, regardez le ciel, les arbres bien sûr, mais aussi les choses magnifiques dessinées par la nature tout près de vous ».
Une fois le bois ou les cailloux rapportés à la maison, qu’en fais-tu ?
Là, il faut que je nettoie le bois mort, qui peut avoir une écorce toute noire ou des parties pourries que j’enlève... et je vois apparaître la couleur et la beauté du bois en-dessous. Je le laisse souvent de côté, car je ne sais pas tout de suite ce que je vais en faire... Et puis, tout d’un coup, j’ai une idée, j’essaie parfois de "marier" un bout de bois avec un autre pour établir un "dialogue" entre les formes ; des fois, je mets un caillou, par exemple pour faire une tête. J’aime bien la danse, aussi ; dans la nature, il y a des branches qui forment des bras, et si on ajoute un caillou pour la tête, on dirait quelqu‘un qui danse... Ce que je fais est souvent complètement abstrait, mais parfois semi-figuratif... Ce n’est pas, en tout cas, un danseur « académique ».
Ce n’est pas souvent qu’on peut rencontrer ces publics ensemble dans une expo ! Une personne handicapée aimait bien s’exprimer graphiquement, et allait toutes les semaines à un atelier peinture. Elle avait peint sur des papiers qu’elle avait chez elle ; on lui avait proposé d’exposer aussi. Elle était d’accord. On lui avait demandé : « combien veux-tu qu’on les vende ? ». Sa réponse : « 1 € » ! On avait réagi : « c’est pas beaucoup... » ; et elle de répliquer : « eh bien, 2 € alors ! ». On avait fixé le prix à 10 € (il faut dire que c’était sur des bouts de papier, que ce n’était pas encadré). Certains étaient très beaux, avec beaucoup de spontanéité, sans intellectualisme mal placé. Une douzaine de ses productions à 10 € ont été achetées ; ça lui a fait un peu d’argent de poche... Et à cette même exposition, j’ai vu arriver trois jeunes, avec des planches à roulettes — ce qu’on ne voit pas souvent dans ce genre de lieu ! —. L’un d’eux était hébergé dans un foyer de l’Arche, ses deux copains vivaient en ville ; là aussi, c’était sympa, parce qu’ils n’avaient jamais vu ce type de salle... Ça fait vraiment plaisir de voir des gens qui découvrent cet univers qui leur était étranger !
Il y a, en tout cas, une évidente présence religieuse dans tes œuvres... As-tu le sentiment de rendre hommage à une Création (avec un grand C) et d’en faire (re)vivre autrement des éléments disparates ?
Ça m’est arrivé de faire des croix, par exemple. Et à la Visitation, à l’oratoire, il y a une croix, que j’ai faite, en fil de fer et bandes plâtrées (donc pas en bois ramassé en forêt). Cette croix pourrait être appelée "de Lorraine", mais elle est inclinée, avec deux bras dirigés vers le haut, pour dire que, quand on a une épreuve et qu’on réfléchit à ce qu’a vécu le Christ, le fait d’y penser n’est pas un chemin de désespérance... Certaines personnes aiment beaucoup cette croix, me l’on dit, et je leur en ai fait d’autres, plus petites, dans le même style.
J’ai conçu aussi une croix en métal avec d’anciens cintres de pressing en fil de fer, en les tordant, simplement, et en en faisant un bras vertical et un bras horizontal, noués sans fixation ; le symbole était le lien entre la relation verticale avec Dieu et la relation horizontale avec les hommes.
J’ai aussi sculpté sur armature métallique avec des bandes plâtrées ou de la cire. J'ai ainsi représenté un enfant qui tend les bras vers quelqu’un qui peut être son père ; c’était pour l’offrir à un prêtre qui partait en retraite. Il l’a toujours, dans sa chambre...
Avec un bout de bois, j’ai pu évoquer un visage, portant une vraie souffrance. Pour une personne croyante, cela peut être une tête de Christ... mais cela peut être aussi une tête de quelqu’un qui est à Gaza...
C’est d’ailleurs ça qui m’a permis de passer au bois : j’étais dans les Alpes, avec mes enfants, au bord d’un torrent, et j’y ai vu des branches mortes qui avaient l’air de danser. Elles se cassaient facilement, je les ai mises dans du plâtre pour les fixer, j’ai ajouté un caillou. Les gens, autour de moi, m’ont dit : « Qu’est-ce que c’est beau ! ». Du coup, je me suis dit : cela m’ouvre de nouvelles perspectives... et j’ai sculpté beaucoup de choses figuratives, comme des danseurs. Mais j’en fais moins aujourd’hui, parce que c’est très fragile ; la colle, au bout de dix ou quinze ans, ne tient plus, et le caillou tombe ! Je peux bien faire du "service après-vente" si les clients ne sont pas trop loin, mais...
Tu sembles vouloir représenter l’intériorité de tes personnages... Cette remarque te paraît-elle pertinente ?
Oui. En même temps, je dirais que j'essaie d'arriver à l'essentiel. L'essentiel, ça peut être l'intériorité, c'est vrai ; mais face à une œuvre, c'est la personne elle-même qui reçoit, qui donne du sens ou pas à ce qu'il ou elle voit. Une personne, un jour, m'achète une œuvre, et me demande : « Est-ce que vous pouvez m'en parler ? ». C'était abstrait, complètement... En même temps, il y avait des parties solides et des parties fragiles. Je lui ai dit : « pour moi, c'est à la fois la force et la fragilité ». Elle répond : « C'est exactement ce que je cherchais, parce que j'ai perdu une fille il y a dix ans, et que j'ai besoin de ça ». Ça émeut ! C'est une occasion d'échanger...
Une autre fois, quelqu'un m'achète une œuvre où il y avait deux oiseaux, et me demande : « Qu'est-ce que vous pensez de cela ? ». Je lui dis : « Cela peut être le dialogue dans un couple ». Réponse : « Ah ! C'est ce que je cherchais ! » (rires).
Tes créations relèvent-elles, selon toi, du figuratif, de la stylisation, de l’abstraction ?
Ce n’est jamais très figuratif... Certes, il y a des oiseaux, mais ce ne sont pas des oiseaux authentiques, plutôt un modelé qui évoque des oiseaux. Même chose pour les autres formes.
Que cherches-tu en associant le minéral et le végétal dans plusieurs de tes sculptures ?
Souvent, le minéral me permet de faire des têtes... Il sert aussi d’appui, suggérant par exemple la lassitude de la partie représentée par le végétal. Mais cela peut aussi être complètement abstrait, mêlant par exemple des bois et des pierres
On n’est donc pas du tout obligé de "théoriser"... Te sens-tu inspiré par l’Art brut ? par le minimalisme ? par aucune « École » à proprement parler ?
L’Art brut, j’aime assez... mais je ne m’en revendique pas vraiment. Cependant, une fois, j’ai été inspiré par mon père, qui à la fin de la guerre de 39-45, avait sculpté une femme qui essayait de se redresser, pour symboliser la paix qui arrivait. J’ai fait une sculpture où quelqu’un aidait un autre à se redresser...
Tu travailles beaucoup le brun, le beige, le blanc cassé, le gris, mais tu t’autorises quelques exceptions (comme des personnages ou oiseaux bleus, rappelant un peu le célèbre bleu Klein). Pourquoi ces choix ?
Je fais rarement du bleu, sauf quand une occasion se présente : un jour, je vois du lierre qui avait peu à peu poussé autour d’une grande branche... mais quelqu’un avait enlevé la branche, et ce lierre semblait s’enrouler sur du vide. La couleur du lierre n’est pas très belle, et c’est pour lui donner de l’éclat que je l’avais peint en bleu. Mais c’est rare... Et les oiseaux bleus, je les peins ainsi parce que sur du bois, on ne les verrait pas aussi bien si leur couleur ressemblait trop à celle de la branche.
Tes personnages sont souvent longilignes, et tu attaches une grande importance au rendu du mouvement, voire au quasi-déséquilibre des corps. Es-tu inspiré par le sport ?
J’aime beaucoup la danse, et cela m’a, en effet, beaucoup inspiré. J’aime beaucoup qu’il y ait une sorte d’élan dans la forme, je ne veux pas que la sculpture soit statique.
Il y a aussi une dimension religieuse dans tes œuvres...
Je fais partie d’un mouvement chrétien, CVX, inspiré de saint Ignace. Dans cette communauté, un atelier Arts se réunissait tous les ans, pour 3 jours. On y présentait
une peinture ou une sculpture. On parlait cinq minutes sur cette œuvre, et les autres réagissaient, posaient des questions, expliquaient ce qu’ils éprouvaient ou ce que cette création leur inspirait. Ça m’a appris à regarder, et m’a permis d’avancer : face à une peinture où ma première impression avait été « je n’aime pas ça », je découvrais qu’elle apportait quelque chose.
Peux-tu nous parler de ton livre co-signé avec le frère bénédictin Gilles Baudry ?
C’est un livre où Sophie, mon épouse, a eu un rôle très important. On avait lu des poèmes de cet auteur, qu’on avait bien aimés. Elle a eu l’idée de mettre des photos de mes sculptures en regard de morceaux de ces poèmes. Elle lui a demandé son autorisation, qu’il a volontiers donnée. Elle a construit le livre, nous a demandé notre d’accord. Nous n’avons souhaité, l’un et l’autre, que de petites modifications... mais si elle n’avait pas été là, le livre, même si son nom n’apparaît qu’à la fin, n’aurait jamais existé !
Ce livre a aussi un côté émouvant : au début, il y a un poème écrit par Gilles Baudry au moment des attentats de Paris... et, de mon côté, j’avais sculpté (en pensant au poème d’Éluard « J’écris ton nom, liberté »), une main qui tendait un stylo, et écrit (à la place de « liberté ») « fraternité », compte tenu des circonstances... et les deux ont été rapprochés, sans qu’on sache, l’un et l’autre, qu’on pensait à la même chose en écrivant ou en sculptant !
À l’époque, j’étais administrateur du Cesam, centre de formation pour travailleurs migrants et tous publics, et la directrice avait souhaité envoyer, comme carte de vœux, l’image de cette sculpture et le message de fraternité qui l’accompagnait.
Tu es aussi impliqué dans la vie de la cité et la préservation de la Paix. Quelles causes défends-tu, et comment ?
Je fais du soutien scolaire à ORE : ça me semble important d'aider les jeunes à avancer, aux niveaux collège et lycée. Certains jeunes en master ou thèse contribuent aussi (et sont payés), des gens au travail participent aussi, et puis il y a des retraités. Quand j'ai commencé à ORE, j'étais le seul qui n'était pas d'origine maghrébine, et aussi le seul retraité. Aujourd'hui, on est 5 ou 6 retraités, et 150 inscrits (plus de 100 familles) bénéficient de ce soutien. On accueille en moyenne 80 jeunes chaque mercredi de 16 h à19 h et chaque samedi de 9 h 30 à 12 h 30, une heure et demie pour les lycéens et une heure et demie pour les collégiens. Le fait d'avoir été en Algérie et d'avoir un peu appris l'arabe m'aide dans cette tâche. Un jour, une jeune de seconde qui m'avait entendu parler arabe avec les autres intervenants s'est adressée à moi en arabe pour me dire : « Eh bien maintenant, on va te respecter ! » (rires). Un autre m'a dit : « Tu parles arabe comme mon grand-père ! » (puisque j'ai appris l'arabe dialectal, alors qu'aujourd'hui on enseigne l'arabe moderne). Cela montre qu'on est proche des jeunes ; on n'est pas là pour les noter, on établit avec eux une relation personnelle.
ORE, c'est pour les ados ; tu n'as jamais été intéressé par l'aide aux élèves du primaire ?
Non, parce que, du fait de ma formation en maths, je suis mieux armé pour cet âge. D'ailleurs, je laisse les étudiants s'occuper des premières et terminales, parce que je n'ai pas été formé aux maths comme eux. J'agis avec les 10-15 ans, parce que c'est important qu'ils ne se disent pas : « je suis nul en maths, je n'arriverai jamais à rien ».
Tu as d'autres engagements...
Oui, j'ai aussi adhéré, dès mon arrivée à Dijon, à l'Association France Palestine Solidarité, quand elle s'appelait encore Association Médicale Franco-Palestinienne. C'est parce que j'ai connu en Algérie des Palestiniens qui y étaient venus pour leurs études. J'habitais dans un ancien presbytère à Oran. On était deux ou trois Français et deux ou trois Palestiniens. J'ai un peu mieux compris ce qui se passait en Palestine. L'un d'eux est venu en France pour y faire une thèse de droit ; on a continué à se côtoyer. Depuis les accords d'Oslo de 94-95, il a pu retourner dans son pays où il a été nommé prof d'université. Il habitait Hébron. Avec Sophie, on est allé le voir... et c'est émouvant, parce que tout le vieil Hébron a été racheté à vil prix par les Israéliens qui ont chassé les habitants. Du coup, la vieille ville est barrée... et c'est là que des Israéliens jettent leurs détritus depuis leurs fenêtres sur les grillages, au-dessus de la rue principale. On s'est promené là, avec notre ami, et c'est bouleversant... J'ai d'ailleurs représenté un mur dans une de mes sculptures, pour montrer qu'on peut se parler par-dessus les murs.
Il y avait aussi un Palestinien qui habitait Dijon et qu'on voyait régulièrement. On avait organisé à la M.J.C. de la Maladière une exposition sur l'histoire de la Palestine... J'avais été interrogé par les Renseignements Généraux qui voulaient savoir combien on était, etc. J'avais dû répondre : « Ça ne vous regarde pas ! ».
D'où ta présence aux rassemblements du samedi, place Darcy, exigeant une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens...
Par ailleurs, nous avons vu que dans la vie de ta paroisse, tu t'occupais des relations entre chrétiens et musulmans ; nous avons une petite idée de ta réponse, mais nous voulions te demander pourquoi tu es particulièrement concerné par ce sujet.
Parce que j'ai été de 1971 à 1977 en Algérie, où l'Église algérienne était très engagée en faveur de l'indépendance, à peine dix ans après. C'est grâce à son action que j'ai pu connaître des Algériens, par exemple un ami communiste... Le père de ce dernier avait été tué par l'armée française. Pour l'Aïd el Kébir (la fête du mouton), à El Asnam où habitait sa mère, j'avais emmené le mouton en 2 CV ! C'était très émouvant de partager ce moment avec cette famille à qui la France avait fait tant de mal. Je leur ai demandé comment ils pouvaient m'accueillir ainsi. La mère a répondu : « On fait la différence entre l'armée française et l'individu français ». Je me disais : les Français en auraient-ils fait autant avec ceux qu'ils appelaient encore les "Boches" dans les années cinquante ?
J'allais où je voulais en Algérie, par exemple dans les Aurès... Aujourd'hui, après la "décennie noire"', ce ne serait certainement plus le cas ! Et ça me paraît d'autant plus important d'avoir des relations avec les musulmans, pour barrer la route à la haine.
Cette expérience de vie ne manquera pas d'intéresser notre modeste lectorat... Grand merci, Roland, pour ton accueil !
Vous pouvez vous reporter :
- au livre de : Roland MACHET, Frère Gilles BAUDRY, Dans la forêt des signes, Parole et silence, 2019
et à sa très belle préface écrite par la philosophe Marguerite LÉNA
- au site web : https://roland-machet.fr/
- au site web : https://association-reflets.fr/