



Attention aux orphelins
20 janvier 2025. Depuis plusieurs jours, je suis aux U.S.A. pour couvrir, en tant que journaliste indépendant mandaté par Réinventons Quetigny, l’investiture de Donald Trump. J’ignorais que cet événement allait jeter un tel froid de canard (boiteux) sur Le Capitole… et je pensais à Zoé et à Melchior restés seuls à Quetigny. « Heureusement qu’ils consultent régulièrement leurs amis les arbres, sentinelles du climat et météorologues lanceurs d’alerte », me rassurai-je.
Afin qu’ils ne se sentent pas trop, disons, abandonnés, j’échangeais régulièrement avec eux par le plus fiable et le plus rapide des réseaux sociaux, celui qui a souvent été d’un grand secours pour les marins du Vendée Globe, The Global Birdsong Network, qui utilise tout autant les ultra- que les infra-sons émis par les oiseaux à travers le monde. Tout allait bien pour eux, j’en fus soulagé.
Retour à Quetigny, fourbu mais ravi. « Tiens, Zoé n’est pas à sa place favorite sur le perron à l’abri du vent, et où est Melchior, d’habitude sur le grand cèdre ? ». J’ouvris la porte. Personne dans le couloir, personne dans la cuisine, personne dans le salon, personne dans les chambres... « Mais où sont-ils ? » C’est alors que, poussé par je ne sais quel instinct, je me dirigeai vers le sous-sol, en général toujours fermé à clé lors de mes absences car j’y range mes archives, et je les découvris, côte à côte sur le canapé, environnés de documents et de livres, absorbés par la vision d’un film, Harry Potter ! Effusions, retrouvailles, offrande rituelle de cadeaux !
Après m’être changé, nous nous retrouvâmes pour déguster une délicieuse bissara, cette soupe, richesse du Maghreb, dont les ingrédients sont la simplicité et la convivialité. La vie était belle, et, à leur demande, je racontai quelques anecdotes concernant mon voyage. Puis je m’enquis auprès d’eux de ce qui les avait occupés ou passionnés récemment. Alors, sur un ton badin, ils m'annoncèrent qu’ils avaient commencé à écrire un article pour R.Q. ! (voilà donc la raison de leur isolement et de leur travail de bénédictins). Melchior s’essuya le bec, prit une grande inspiration et me demanda si cela était réalisable et souhaitable… Je répondis aussitôt que tous les animaux et tous les enfants pouvaient s’exprimer, sous quelque forme que ce soit, proposer un texte, un dessin, un rébus… pour relater ce qui leur semble important, et donc surtout ludique, illustré ou non, sur le site de Réinventons Quetigny. Ils sont les bienvenus ! « Quel est donc ce sujet qui vous tient à cœur ? ».
« Attention aux orphelins », énonça avec autorité Zoé, adressant un clin d’œil complice à Melchior. Surpris, je les encourageai à m’en dire davantage, et c’est alors qu’ils m’apprirent que beaucoup de héros de romans, de livres, furent créés par leur auteur avec le statut d’orphelin. Ouvrant un dossier, comme preuve de ce qu’ils affirmaient, ils étalèrent sous mes yeux plusieurs images de ces personnages illustres qui, tout au long des siècles et d’un pays à l’autre, s’immiscent dans nos rêves en traversant victorieusement de terribles épreuves, guidés par l’optimisme de la volonté.
« Mais surtout, nous avons découvert lors de nos recherches une véritable pépite, un conte traditionnel africain qui se transmet oralement de génération en génération… » s'exclama Melchior.
Attention aux orphelins
Autrefois, dans le village de Gani-Gawane, les orphelins étaient rejetés et abandonnés. Selon cette triste habitude, une année, à l’approche de la saison des pluies, le petit Adamou fut emmené dans une brousse lointaine parce que personne ne voulait plus s’occuper de lui : un de ses oncles qui l’avait recueilli après la mort de ses parents et l’avait élevé durant presque dix ans, mourut lui aussi ; sa veuve avait beaucoup de mal à élever ses propres enfants. Le chef du village à qui elle avait fait appel décida donc d’abandonner le petit Adamou.
Ainsi l’enfant se retrouva-t-il seul, parmi les animaux sauvages, à des lieues du village le plus proche. Comme par miracle, il trouva une grotte et s’y cacha. Or, grâce à Dieu, dans le fond de cette grotte, on avait caché, sans doute pour les protéger des razzias, des vivres les plus divers : de la viande séchée, des sacs emplis de niébé, et tout ce qu’il lui fallait pour vivre. Dans la brousse épaisse qui l’entourait, Adamou put ainsi éviter la mort à laquelle il était destiné. Il apprit à éviter les animaux sauvages, sut bientôt faire des pièges et se distraire en regardant les ombres, les nuits de pleine lune. Mais nuit et jour aussi, il maudissait les habitants du village qui l’avaient abandonné. Il souhaitait pour eux les pires catastrophes dont il avait entendu les anciens parler : les pluies qui noyaient les récoltes, ou au contraire la sécheresse, ou encore les invasions de sauterelles. Ses malédictions furent efficaces. Ainsi, des semaines, des mois passèrent sans qu’une goutte d’eau tombe à Gani-Gawané. La tristesse y devenait pesante car ni le manioc, ni le niébé, ni le sorgho ne germaient dans les terres qu’on avait ensemencées, et la perspective de la famine accablait grands et petits.
Au contraire, les pluies de l’hivernage avaient arrosé tous les villages alentour, partout, les paysans s’apprêtaient déjà à des récoltes abondantes, les greniers allaient déborder. La bonne fortune des villages voisins augmentait encore la tristesse et le découragement à Gani-Gawané. On ne savait plus à quel génie se vouer et bientôt, il fallut aller dans les villages voisins quémander jusqu’au moindre grain de mil ou de sorgho. Nulle part, on n’était disposé à aider un village qu’on considérait comme maudit.
Les bergers de Gani-Gawané eux-mêmes durent beaucoup s’éloigner pour trouver des pâturages encore verts. Un jeune berger à peine plus âgé qu’Adamou alla même jusqu’à s’approcher de la grotte perdue où l’orphelin avait trouvé refuge. Ses vaches paissaient paisiblement sur une étendue d’herbe bien verte proche de ces lieux quand l’une d’elle quitta le troupeau ; le petit berger la suivit et découvrit, tout étonné, au bas de la falaise où il se trouvait, une anfractuosité d’où sortait le son d’une voix humaine. Prêtant l’oreille, il fut stupéfait d’entendre ces maux : « Habitants de Gani-Gawané, maudits soyez-vous qui m’avez abandonné loin des hommes. Je suis seul loin de tout et sans la nourriture que je retire du fond de cette grotte, je n’aurais pu survivre à cet abandon. Que vos semences se noient sous les pluies d’hivernage, que la sécheresse fasse mourir les jeunes pousses, que les sauterelles dévorent ce qui reste sur pied. Puissent vos enfants en périr puisque vous ne faites pas l’effort de prendre soin des orphelins. Et toi, génie de cette grotte, fais que cette malédiction se réalise ! ».
Le berger comprit bien vite qui parlait, il se souvenait d’Adamou dont il avait partagé les jeux et le reconnut vite comme l’auteur de ces malédictions. Abandonnant sur le champ son troupeau, il courut au village informer le chef de ce qu’il venait de découvrir. Ce dernier n’eut pas de peine à reconnaître ses torts et appela le sorcier qui s’empressa de supplier le génie de la grotte. Pendant ce temps, tous les hommes du village se rendirent en cortège auprès d’Adamou et le ramenèrent bien vite à Gani-Gawané. Le chef du village le prit dans sa maison où il fut accueilli comme l’un de ses fils. Une grande pluie s’abattit aussitôt sur le village. C’est depuis ce jour que les orphelins sont traités avec soin et amour à Gani-Gawané.
Nous nous mîmes tous trois à danser autour de la grande table en applaudissant et en chantant Les temps changent, merveilleuse version française par Hugues Aufray du titre mythique de Bob Dylan The Times They Are A-Changin’. Non, Robert Zimmerman, cet ardent défenseur des droits civiques et de la justice sociale n'est pas pour nous "Un parfait inconnu" *. Enfin une bonne nouvelle ! L’investiture du milliardaire repris de justice attendra ! Et ne sommes-nous pas tous orphelins de quelqu’un ou de quelque chose, d’un idéal ou d’une cause ? Gardons en mémoire Les Enfants de Don Quichotte au bord du canal Saint-Martin. Étudions les Bonobos. Bref, nul doute, l’article de Zoé et de Melchior aura toute sa place dans la prochaine Lettre de Réinventons Quetigny !
P.S. Un de nos frères humains nous propose la lecture de l’ouvrage Mes papas ! Mes mamans ! Et moi ? sous la direction de Jacques Besson et Mireille Galtier, Les Dossiers de Spirale, 2007 Érès. Selon Zoé, c’est la meilleure manière d’adopter, à l'heure de la PMA et de la GPA, une vision lucide et sereine sur la notion du lien filial.
* Titre du récent film biographique (biopic) de James Mangold avec Timothée Chalamet dans le rôle de Bob Dylan.
