top of page
lalettre.jpg
lettre 29 avr.jpg

Un monde dangereux

 

La planète va de plus en plus mal. Le dérèglement climatique, les récoltes insuffisantes aggravant sous-nutrition et malnutrition dans des territoires qui s'étendent, les injustices et les menaces entraînées par la course au profit de multinationales toutes-puissantes, les tensions internationales qui propagent le domaine de la guerre dans diverses régions de la terre, le bellicisme d’un nombre croissant de dirigeants, les privations de libertés pour les populations de multiples pays soumis à des dictatures inhumaines... rendent notre monde de plus en plus instable.

Ces derniers mois, les migrations internationales ont singulièrement augmenté, après un premier "pic" il y a huit ans. Dans quelques États relativement épargnés par la dégradation de la situation économique mondiale et des relations internationales, l’heure est de moins en moins à la solidarité et de plus en plus au repli sur soi.

C’est particulièrement le cas sur la rive nord de la Méditerranée, en Europe. L’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, Frontex, dit avoir enregistré en 2023 la plus forte augmentation d’entrées "irrégulières" dans l’Union européenne depuis 2016 (1,14 million en 2023, contre 1,8 million en 2016).

 

Un "pacte" très opportuniste

Sur notre continent, les « partis de gouvernement », qui s’écharpent sur bien des sujets, viennent de trouver un terrain d’entente : Ursula von der Leyen a réussi le 10 avril à faire voter par le Parlement européen, après plusieurs années de négociations, le "pacte européen sur l’asile et la migration". Le Parti Populaire Européen (droite), les Socialistes et Démocrates, et Renew (centristes et libéraux) ont uni leurs voix sur un "compromis" dont se félicite la commissaire européenne aux Affaires intérieures, la Suédoise Ylva Johansson : « Nous pourrons ainsi mieux protéger nos frontières extérieures, mieux protéger aussi les réfugiés et les plus vulnérables, et refouler rapidement ceux qui n’ont pas le droit de rester, avec une solidarité obligatoire entre les États membres ». Bonne nouvelle ? Évidemment non !

Certes, la situation des migrants en Europe n’avait jusqu’à présent rien d’enviable. Le "règlement de Dublin III", qui déléguait l’instruction des demandes d’asile aux premiers pays de l’UE dans lesquels arrivent les migrants (Italie, Grèce, Malte, etc.) et y concentrait la plus grande partie de la "pression migratoire", submergeait ces "pays de première ligne" incapables de traiter convenablement les demandes d’asile.

Une "solidarité" plus contrainte entre les États

 

Le nouveau pacte, un ensemble de dix textes législatifs (neuf règlements et une directive) destinés à établir un équilibre entre le contrôle aux frontières et une solidarité dans l’accueil des réfugiés sur le sol européen, prétend développer une forme de coopération entre gouvernements de l’Union. Les exilés sont censés être désormais répartis entre les différents États membres pour alléger la "charge migratoire" des pays côtiers de la Méditerranée (ce qui hérisse certains de nos partenaires comme la Pologne)...

Mais les relocalisations concernent à peine 10 % des arrivées ! Les pays de l’U.E. qui ne souhaitent pas accueillir de migrants pourront s'acquitter d'une sorte d’amende de 20 000 euros par personne refusée, et les réfugié·e·s iront s’installer ailleurs...

Le pacte prévoit aussi « de nouvelles procédures pour établir rapidement le statut d’une personne à son arrivée ». En clair, les migrants sauront plus rapidement — dans un délai de cinq jours — s’ils peuvent rester en Europe ou doivent repartir, via une procédure de « filtrage » à l’entrée (contrôles d’identité, contrôles sécuritaires et sanitaires, relevés d’empreintes digitales).

Une procédure spéciale à la frontière

Dans les faits, le « pacte » place les arrivant·e·s dans une situation encore plus intenable. Comme le souligne la CIMADE (association de solidarité active avec les migrants, réfugiés et demandeurs d’asile), sa mise en œuvre donnera aux pays de l’U.E. des pouvoirs nouveaux, contrevenant aux droits de l’Homme :

  • celui de détenir de facto aux frontières, sans aucune exemption, des familles avec des enfants de tous âges (bafouant ainsi les droits de l’Enfant), pour des durées indéterminées

  • celui d’évaluer les demandes d’asile au moyen de procédures de « filtrage » à l’entrée (contrôles d’identités, contrôles sanitaires et sécuritaires, comparaisons d’empreintes digitales par le système Eurodac aidant à déterminer l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile) ; ces méthodes bureaucratiques et accélérées ne respectent pas les normes internationales ; elles limitent par exemple à cinq jours le délai pour faire une demande d’asile à la frontière ; après quoi les migrant·e·s pourront être immédiatement refoulé·e·s

  • celui de continuer à parquer un nombre accru de demandeurs d’asile dans des "zones frontières", considérées — contre toute évidence — comme ne faisant pas partie de l’U.E. (ex. Lampedusa, Malte ou les îles de la mer Égée), dans des conditions inhumaines (surpeuplement, sous-équipement médical), et ce en vertu d’un principe absurde, la "fiction juridique de non-entrée" consistant à faire comme si une personne n’était pas arrivée sur le sol de l’État, alors qu’elle y est présente physiquement, tant que son cas n'a pas été traité par un officier d'immigration.

 

Bref, loin de développer la solidarité internationale comme il le prétend, le nouveau texte confirme et même aggrave la volonté de l’U.E. de décourager plus que jamais les migrants.

Une hypocrisie criminelle

 

Le nouveau texte favorise dans les faits les procédures de refoulement, avec des garanties réduites, plutôt que les solutions d’accueil des migrants.

On transfère les demandeu·r·se·s d’asile de façon de plus en plus systématique vers des « pays tiers sûrs » (comme la Turquie), payés par les pays de l’U.E. refusant de les recevoir (comme la Hongrie). Le principe de la « gestion » des arrivant·e·s dans le premier pays d’entrée est maintenu (en dépit des réclamations, par exemple, de l’Italie). Les refus d’accès aux services et à l’asile ne sont pas remis en cause, même pour les personnes sauvées, par exemple, d’un naufrage. Il n’est pas prévu de répartition proportionnelle des demandeu·r·se·s d’asile dans toute l’Europe.

On préfère donner un peu d’argent aux pays d’arrivée pour renforcer leurs frontières plutôt que d’accepter des migrant·e·s sur des territoires ou iels pourraient reconstruire leur vie... Dit-on assez que la France a suspendu les accords de Schengen de libre circulation avec l'Italie autour de Vintimille ? Dans le même temps, on criminalise l’action de militant·e·s qui aident les migrant·e·s à franchir les frontières pour leur donner une chance (comme Cédric Herrou, à nouveau interpellé le 24 mars dans les Alpes-Maritimes). Ce sont de tout autres politiques qui devraient être mises en œuvre à l’échelle européenne si on souhaitait combattre le refoulement arbitraire des migrant·e·s !

Une mise en danger des migrants

De nouvelles mesures restrictives comme celles-ci ne peuvent que les contraindre à courir des risques accrus en empruntant des itinéraires de plus en plus dangereux. L'organisation Internationale pour les Migrations de l'ONU (voir graphique et carte) estime que 30 000 personnes sont mortes en essayant de traverser la mer Méditerranée de l'Afrique du Nord vers l'Europe depuis 2014...

Des libertés publiques bafouées

Par ailleurs, le pacte prévoit un recours toujours plus systématique aux technologies de surveillance à tous les stades des procédures d’immigration et d’asile. Les données personnelles des migrants seront collectées en masse et échangées entre les forces de police de l’Union européenne. Des systèmes d’identification biométriques seront utilisés par les polices pour renforcer le contrôle des migrant·e·s sans papiers et suivre leurs mouvements.

Il est clair que l’accord rend plus difficile les arrivées, qu’il durcit l’accès au statut de réfugié·e, et qu’il laisse une plus grande latitude aux pays récepteurs des flux migratoires pour renvoyer celles et ceux dont ils considèrent qu’iels n’ont pas le droit de rester. Ils peuvent les expédier soit vers leur pays d’origine, soit vers un autre s’ils estiment (à tort ou à raison) qu’il est "sûr"... une décision qui n’émanera pas d’un organisme indépendant ou qui ne sera pas commune à tous les pays de l'Union.

Selon Amnesty international, « ces réformes entraîneront pour les personnes qui fuient le conflit, la persécution ou l’insécurité économique, une diminution de la protection et une majoration du risque de subir des atteintes aux droits humains à l’intérieur de l’Europe — notamment des renvois forcés illégaux et violents, une détention arbitraire et des discriminations lors des opérations policières ».

Toutes ces mesures doivent commencer à s’appliquer dans deux ans. Militons ensemble, avec 161 O.N.G., contre leur mise en œuvre !

Nous aurons l'occasion,  dans un prochain numéro,  d'étudier le cas spécifique  des politiques françaises  menées sur l'immigration.

Retour au sommaire

Vers notre site web

Je souhaite inscrire un·e ami·e à cette lettre

Mes avis sont les bienvenus

Je souhaite ne plus recevoir cette lettre

méditcarte_edited.jpg
logoRQ.png
méditgraphe_edited.jpg
bottom of page