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Toujours l'École !

Nous revenons sur le thème de l’Éducation, déjà traité dans notre précédent numéro... N’y voyez pas une obsession, mais une volonté d’alerter sur la pente dangereuse empruntée par la nouvelle ministre de façon précipitée (sans la consultation, pourtant obligatoire, du Conseil Supérieur de l'Éducation pour la version définitive du projet), sur l’accélération des attaques contre un service public essentiel, contre une profession méprisée par le pouvoir, et en définitive contre une nouvelle génération d’élèves qui risque fort d’en pâtir toute sa vie !

Le recrutement des profs

La crise de l’accès au métier d’enseignant devient gravissime ; nous avons déjà évoqué les concours de recrutement qui souffrent du manque de candidats. Comment s’en étonner quand le pouvoir d’achat des profs s’érode au fil des décennies, quand les difficultés s'accumulent dans l'exercice du métier, quand un pouvoir à la fois technocratique et néo-libéral gère les services publics comme une entreprise ?

Dernière idée géniale : on apprend, alors que le dialogue social sur la réforme de la formation des enseignants est à l’arrêt depuis l’automne, que les concours de recrutement vont passer de "bac + 5" à "bac + 3" ! L’idée est "d’attirer plus de jeunes vers le métier"... Certes, les nouve·aux·lles  enseignant·e·s n’auront pas terminé leur formation après ces trois ans d’études, mais iels devront passer une grande partie de leur temps « en situation » devant des classes. Le Ministère a trouvé pour les "instituts" formant ces professeurs une dénomination ronflante : les « Écoles normales supérieures du professorat »... Jaurès, Herriot, Blum, Pompidou s’en retournent dans leurs tombes !

Que des jeunes attirés par le métier aient une partie de leurs études rétribuées en échange d’un engagement décennal n’est ni nouveau, ni scandaleux... mais comment ne pas voir dans cette formation raccourcie un pas vers la dépréciation des concours, une déqualification du professorat, et un moyen de combler artificiellement le fossé créé par des décennies de dévalorisation ?

Dans ce mode de recrutement, on éloigne de plus en plus la formation de nos futurs profs de la filière universitaire, donc de contenus d’enseignement en rapport avec les avancées de la recherche, pour formater davantage les connaissances et la pédagogie en fonction de « maquettes » décidées par la bureaucratie ministérielle.

 

Les groupes de niveaux

Le « choc des savoirs » est à l’ordre du jour au ministère de l’Éducation : une série d’arrêtés, de décrets et de circulaires préparés par Gabriel Attal ces derniers mois et publiés à la mi-mars sans aucune concertation, radicalement contestés non seulement par les enseignants mais aussi par les chefs d’établissements — qui dénoncent les "pressions" exercées sur eux et le "recours à la communication médiatique au détriment du temps long de la co-construction éducative" — , organise dans le secondaire :

- des groupes de niveaux (euphémisés "groupes de besoins" tant l’expression indigne enseignants et parents), 

- une "prépa-seconde" (encore un terme hypocrite et flatteur) pour les élèves qui ont été admis en classe de seconde mais n’ont pas obtenu le Diplôme National du Brevet ; jamais dans l'histoire le brevet n'a ainsi servi à "trier" les élèves pour l'accès au lycée !

La ministre met en avant les prétendus résultats de recherches en sciences de l’éducation pour justifier les groupes de niveaux. En fait, les universitaires qui comparent les systèmes scolaires de différents pays le constatent : regrouper sur de longues périodes les élèves en difficulté d’une part, les élèves bien intégrés de l’autre, les empêche de progresser ensemble dans l’acquisition des capacités et le niveau des connaissances. Les chercheurs démontrent que l’altération de la confiance en soi que provoquent les regroupements par niveaux est inévitable pour les élèves les plus fragiles. Ils notent que les groupes les plus faibles sont, davantage que les autres, entraînés à des tâches répétitives et peu soumis à des exercices d’analyse et de réflexion ; c’est exactement le projet de pédagogie proposé cette année par le ministère dans les groupes de soutien en sixième (fluence, dictée, calcul mental). Enfin, les établissements n’auront-ils pas tendance à affecter les profs les plus qualifié·e·s et les plus expérimenté·e·s aux groupes les plus performants ?

Cette mesure, en plus de menacer la confiance en soi des élèves et de leur imposer une mise en compétition et une pression de la performance constante, aura pour conséquence une vraie ségrégation sociale et sexuée. Les groupes dits "faibles" concentreront les élèves issu·e·s des milieux populaires ainsi que celles et ceux souffrant de troubles de l’apprentissage. Mais cette ségrégation sera également discriminante pour les élèves issu·e·s de l’immigration ou assigné∙e·s à leurs origines, qui ont déjà un taux d’accès plus faible aux diplômes que la population globale.

Ces mesures se heurtent, en outre, à de nombreuses contraintes (manque de salles de classe en nombre suffisant, emplois du temps ingérables, inégale taille des groupes) qui les rendent totalement inopérables dans beaucoup d’établissements.

La réforme du "Choc des savoirs", c’est l’institutionnalisation du tri scolaire — et donc social — dès l’entrée en Sixième selon le niveau des élèves, qui remet en cause soixante ans de démocratisation. La découverte des métiers dès la cinquième prépare une pré-orientation précoce des plus en difficulté à l’issue de la troisième, avec le "Brevet-barrage" qui les conduira dans le cul-de-sac de la classe "prépa-seconde" et l’apprentissage... La profession est vent debout contre ces réformes, contre le tri social précoce en collège, contre le renoncement à un enseignement ambitieux pour tou·te·s les élèves. Dans la métropole dijonnaise, le collège Roland Dorgelès de Longvic a été en première ligne, mais la colère gronde partout. Qu’elle ne se traduise à aucun prix par le découragement !

Il existe d’autres moyens pour aider les élèves en difficulté. L'arrêt du long effritement de la dépense intérieure d'éducation pour le secondaire depuis 1998, la revalorisation de la profession (après deux décennies de quasi-gel du point d'indice des fonctionnaires), la réduction des effectifs par classe (en France, les plus élevés dans toute l'Europe), la prise en compte par le Ministère des remontées du "terrain" (chefs d’établissement, personnels, parents d’élèves), d'autres formes de pédagogie différenciée que les groupes pérennes de niveaux/besoins (avec des brassages plus souples et plus fréquents, sous forme de soutien individualisé) seraient des mesures permettant d’assurer un recrutement d’enseignants sans à-coups, de se concentrer sur l’acquisition des connaissances et la construction de futur·e·s citoyen·ne·s épanoui·e·s, de faire travailler la communauté scolaire dans la sérénité... et de rétablir la confiance dans l’École de la République. Tout cela suppose d’autres priorités que celles de la « start-up nation » !

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