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L'Holodomor en Ukraine (1932-1933)

Le 25 novembre dernier, le peuple ukrainien commémorait, comme chaque année depuis la fin des années 1980, l’"Holodomor", l’extermination par la faim de plusieurs millions de morts victimes de la terreur stalinienne.

Si l’attention est aujourd’hui retenue par le conflit israélo-palestinien et les massacres de Gaza, nous devons au peuple ukrainien, qui se bat actuellement héroïquement contre l’impérialisme russe, le droit de mémoire pour ces victimes de la politique criminelle de Staline.

Collectivisation forcée et folie meurtrières

La nouvelle politique économique (NEP) mise en place par Lénine en 1921 supprime la réquisition des produits agricoles, entraînant une libéralisation et une forme d'économie de marché dans le secteur agricole pour faire face à la famine. Elle donne aux producteurs une certaine capacité d’autosuffisance, devenue indispensable à la survie de la population.

En dépit du succès de la NEP, le pouvoir soviétique de Staline met en place en 1929 le premier plan quinquennal, dont un des buts est de développer les exportations de la production agricole, en collectivisant les terres — création d'exploitations collectives et de fermes d’État (kolkhozes et sovkhozes) — afin de permettre l'importation des produits nécessaires au développement industriel. Pour contraindre les paysans à procéder à ce brutal tournant politique, le régime stalinien va employer la force : réquisitions, répression organisée par la GPU/NKVD contre les koulaks, riches paysans propriétaires, accusés de détruire le régime soviétique et de restaurer le capitalisme. Des brigades de choc sont envoyées dans les campagnes pour faire appliquer cette politique.

Des centaines de milliers de paysans ukrainiens se révoltent contre cette collectivisation forcée. Dans un contexte marqué par la crise de l’économie capitaliste occidentale — qui dégrade les termes de l’échange économique —, les exportations agricoles diminuent, réduisant l’importation de matériel industriel indispensable à la réussite du plan quinquennal.

La paranoïa de Staline va déferler sur l’Ukraine. Les plans de production démesurés, combinés à une mauvaise récolte, vont entraîner des dizaines de milliers de victimes de la faim dès 1931, puis des centaines de milliers en 1932, pendant que se multiplient les réquisitions menées par les brigades de choc composées de militants des jeunesses communistes (Komsomol) et de communistes citadins. Fin 1932, des mesures drastiques interdisent aux paysans affamés de rejoindre les villes. Début 1933, les objectifs de la récolte n’étant pas atteints, tous les stocks, y compris les semences, sont réquisitionnés. Molotov, le principal artisan de cette sauvagerie, fait exécuter par le GPU l’interdiction de départs massifs de l’Ukraine. Ces réquisitions sont accompagnées d’une vague de terreur : au cours de février 1933, 220 000 personnes sont arrêtées et 190 000 réexpédiées dans leur village (cf. Andrea GRAZIOSI, Iryna DMYTRYCHYN (trad. de l'italien) : Lettres de Kharkov : La famine en Ukraine, 1932-1933, les Éditions Noir sur Blanc, Lausanne/Paris, 2013 - consultable sur Persée). Des milliers  de cadres  du parti communiste ukrainien  sont exécutés  ou déportés.

La famine atteint son paroxysme au printemps 1933, accentuée par une épidémie de typhus et par le cannibalisme. Une femme médecin écrit à un ami en juin 1933 « qu'[elle] n'est pas encore devenue cannibale. […] Les bonnes personnes sont mortes en premier. Celles qui ont refusé de voler ou de se prostituer sont mortes. Celles qui ont donné de la nourriture à autrui sont mortes. Celles qui ont refusé de manger des cadavres sont mortes. Celles qui ont refusé de tuer leur prochain sont mortes. Les parents qui ont résisté à l’anthropophagie sont morts avec leurs enfants » (Timothy SNYDER : Europe between Hitler and Stalin (2010), Basic Books, p. 50-51).

Et pendant ce temps, l’URSS va exporter plus de 3 millions de tonnes de céréales entre 1932 et 1933 (Nicolas WERTH, La Terreur et le Désarroi : Staline et son système, Paris, Perrin, 2007)...

5 millions de victimes ?

Les victimes se compteront par millions, tragédie niée par le pouvoir soviétique et révélée au grand public seulement lors de la parution de L’Archipel du goulag  d’Alexandre Soljenitsyne en 1973.

Ce n’est qu’en 1991, après l’implosion de l’URSS, que l’ouverture des archives a permis une étude plus officielle et scientifique de cette période sombre de l’histoire ukrainienne.

Si le bilan chiffré de cette famine provoquée divise les historiens et les chercheurs, la plupart le situent dans une fourchette de 3 à 5 millions de victimes, auxquelles il faudrait ajouter les morts ultérieures prématurées dues aux organismes affaiblis ou malades.

Génocide ?

Certains appuient cette caractérisation sur l’une des conditions fixées par la Cour pénale internationale : « soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique, totale ou partielle ».

S’il est difficile d’établir avec certitude la volonté formelle des dirigeants staliniens de détruire la nation ukrainienne, la politique de colonisation de l’Ukraine et d’autres républiques socialistes soviétiques a été d’une constante brutalité envers l’Ukraine ; politique qui se perpétue tragiquement près d’un siècle plus tard par l’invasion militaire de ce pays et la négation de son existence en tant qu’État souverain.

  • En 2006, le Parlement ukrainien a reconnu l’Holodomor comme génocide et le Parlement européen l’a qualifié de crime contre l’humanité, avant de le déclarer à son tour génocide en 2022.

  • En 2008, la Russie a déposé son veto contre la mise à l’ordre du jour de l’Assemblée Générale de l’ONU de la commémoration du 75ème anniversaire de l’Holodomor.

  • À ce jour, les Parlements de 33 pays, dont la France, ont reconnu l’Holodomor comme génocide, ainsi que 10 pays dans le cadre du Parlement européen.

Le refus de l’indépendance ukrainienne

L’Ukraine n’a pas été le seul pays victime de cette politique « génocidaire » — d’autres, comme la Biélorussie, le Caucase ou le Kazakhstan en ont également souffert —, mais il a été celui qui a payé le tribut le plus lourd aux erreurs et à la terreur staliniennes, du fait de sa volonté farouche de conquérir définitivement son indépendance vis-à-vis de l’impérialisme du Kremlin.

En dépit de l’ouverture importante réalisée dans le domaine des rapports nationaux, la révolution d’Octobre 1917 s’est avérée incapable de résoudre la question nationale, et particulièrement celle de l’Ukraine, la plus importante des républiques russes de l’Union Soviétique. Au lieu de reconnaître réellement la légitimité de l’indépendance de l’Ukraine, admise formellement lors de la Constitution de l’URSS, l’impérialisme bureaucratique du Kremlin a progressivement fait main basse sur la nation ukrainienne en réprimant dans le sang ses aspirations à constituer un peuple libre et indépendant. C’est ce qui explique au plus profond l’Holodomor, les massacres d’Ukrainiens au cours de la seconde guerre mondiale, et encore aujourd’hui l’invasion de l’Ukraine, préparée de longue date par le nouveau Tsar du Kremlin pour la maintenir sous sa coupe coloniale.

 

Pour en savoir plus :

Nicolas WERTH et al., Le livre noir du Communisme, Paris, Robert Laffont, 1998

Andrea GRAZIOSI, Histoire de l’Union soviétique, Paris, PUF, 2010.

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